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Aux Ursulines

Avant la mort, la vie

Un reportage sur la gestion de la mort en maison de repos

 

par Maureen HORLAIT, Pauline MARTIAL et Arthur MOULIN

Elle est partout : dans les journaux, à la télévision, dans les films ou encore dans les jeux vidéo. Malgré son omniprésence dans notre société, aujourd'hui encore, la mort est taboue. Qu’on soit riche ou dans le besoin, face à elle, nous sommes tous égaux. Nous avons peur. Souvent, en parler dérange. En maison de repos peut-être encore plus. « On n’y rentre pas pour rien », entend-t-on souvent. Signe qu’une majorité de la population associe l’entrée en maison de retraite à une fin de vie prévue dans un futur plus ou moins proche. Mais comment évoquer la mort avec ceux qui y seront bientôt confrontés ? Comment vivent-ils cette réalité ? Comment les établissements gèrent le décès d’un résident ? Immersion aux Ursulines, à deux pas du Sablon.

Image : Gérer le décès

Gérer le décès sans le cacher

Aujourd’hui, près de l’entrée de la cafétaria des Ursulines, un avis est affiché. Il s’agit d’un faire-part de décès. L’un des 131 résidents s’en est allé. Des annonces comme celle-ci, il y en aura en moyenne 3 dans le mois. La mort, certains résidents préfèrent ne pas y penser. D’autres ont déjà tout prévu,  depuis la liste des invités à la cérémonie funéraire jusqu’au choix du caveau. Lorsqu’ils se sentent à l’aise, certains résidents aiment se confier au personnel. Ils racontent  leur vie, leurs anecdotes et leurs souvenirs. Parfois même, ils parlent de la mort. « Toutes ces discussions nous permettent de respecter au mieux les dernières volontés du résident décédé », explique Monsieur Kenis, directeur des Ursulines.

Gérer le décès : Photo 1

« Quand l’état d’un résident se dégrade, on essaye toujours de contacter la famille pour qu’elle puisse être à ses côtés », confie Hilde, infirmière en chef. C’est à elle que revient la lourde tâche de prévenir la famille lors du décès. Un moment éprouvant pour les familles comme pour l’infirmière. « Il faut pouvoir trouver les mots. C’est notre métier et on finit par s’y habituer mais parfois ce n’est pas évident », admet-elle. Le médecin légiste passe ensuite pour constater la mort. Le corps est alors transporté à la morgue par les infirmiers, les aides-soignants ou encore le personnel de maintenance ou le directeur lorsque des bras sont nécessaires. Il y reste jusqu’à l’arrivée des pompes funèbres.

Aux Ursulines, des liens se créent entre les résidents. Le décès de l’un d’entre eux laisse souvent un vide chez des autres. Chez certains, il y a parfois cette impression qu’on veut leur cacher la mort. « Un jour, on se rend compte qu’il y a longtemps qu’on n’a pas vu une certaine personne et on comprend qu’elle ne reviendra pas », confie une résidente. Pourtant, il y a bien ce faire-part affiché près de la cafet. Mais tous n’y mangent pas. La plupart prennent leur repas à leur étage.

La mort, le personnel ne la crie pas sur tous les toits. Mais il n’y a pas une volonté de la cacher pour autant. Les pensionnaires proches du défunt apprennent la nouvelle par une infirmière, l’animatrice ou encore l’ergothérapeute. La maison de repos prévoit même un accompagnement, si nécessaire. Une assistante sociale les aide à faire leur deuil.

Mais pour le personnel des Ursulines, dire la mort n’est pas toujours facile. Eux aussi, le départ d’un résident les touche. « On vit au quotidien avec eux. On est parfois plus proche de certains résidents que leur propre famille. Quand il y a un décès, on a toujours un petit pincement au cœur », explique Emmanuelle, ergothérapeute aux Ursulines depuis 28 ans. Avec l’expérience, tous parviennent à prendre du recul. Il n’empêche qu’à la vue de certains numéros de chambres, certains moments resurgissent. « Je me souviens du nom de toutes les personnes qui les ont occupées », avoue Emmanuelle.

Les chambres restent vides rarement longtemps. Car aux Ursulines comme dans toute maison de repos, décès rime avec nouvel arrivant. A peine le défunt emmené, une personne dont le nom figure sur la liste d’attente est notifiée qu’une place s’est libérée. Etre en tête de liste n’est cependant pas toujours une garantie. Aux Ursulines, il faut tenir compte d’une autre contrainte: l’architecture du bâtiment. « La chambre libérée doit être adaptée au résident entrant. S’il s’agit d’une personne nécessitant des soins conséquents par exemple, on ne peut pas l’accueillir dans la partie remise à neuf du bâtiment. Il y a trop d’escaliers et c’est trop loin des bureaux infirmiers », explique le directeur de l’établissement.

Avec l’arrivée du nouveau résident, c’est la vie qui reprend aux Ursulines. «Beaucoup voient les maisons de repos comme des mouroirs où l'on abandonne les vieux, mais c’est avant tout un lieu de vie », estime Fatima, animatrice. « C’est vrai, des personnes âgées décèdent en maison de repos mais d’autres meurent aussi à l’extérieur, c’est la vie. Les résidents ont encore une vie devant eux quand ils arrivent ici », poursuit-elle.

Aux Ursulines comme ailleurs, les mots croisés, le bricolage et le bingo figurent parmi les activités hebdomadaires des personnes âgées. Mais l’établissement a cela de particulier d’offrir des projets permettant d’intégrer les résidents à la vie du quartier. En effet, l'ouverture des Ursulines vers son quartier est sans doute ce qui contribue le plus à en faire un lieu vivant. Certains s’initient à la peinture au Bozar, d’autres retrouvent le bonheur d’être en compagnie d’un enfant grâce à la crèche d’à côté. Et lorsque les résidents ne s’aventurent pas dans le quartier, le quartier vient à eux. « On a organisé un concert classique dans notre chapelle. Il était ouvert à nos résidents mais aussi aux gens de l’extérieur. Tout le monde est mélangé et il n’y a plus de différence. Cela permet à nos pensionnaires de se sentir comme des résidents actifs dans le quartier », explique M. Kenis, directeur des Ursulines. A l’occasion, les jeunes du skate-park situé en face de la maison de repos viennent également faire la fête avec leurs aînés.  

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Ils font face à la réalité de la mort

En entrant aux Ursulines, tous ont laissé derrière eux une vie et leur autonomie. Une majorité d’entre eux sait qu’il s’agit de leur dernier lieu de vie. La mort, ils n’y pensent pas forcément en entrant. Mais très vite, l’état de certains résidents les met face à une réalité : la vieillesse, la dégénérescence et bientôt la mort. Alors, ils se projettent. Ils prennent conscience qu’eux aussi, cette réalité va les rattraper. Certains préfèrent ne pas y penser. D’autres l’attendent avec sérénité. Et puis, il y a ceux qui ne cessent de redouter la mort à cause de l’inconnu qu’elle représente.

Portrait Caen
Portrait Yvonne
Portrait André

Yvonne

André

Mme Caen

Portrait Marie
Portrait Claire

Marie

Claire

Image : L'avis des experts

L'avis des experts

Si la peur de la mort peut apparaître moins taboue que par le passé, il n’empêche qu’elle reste pour certains encore difficile à aborder. D’autant plus dans une maison de repos devenue, elle aussi, un tabou de notre société. « La maison de repos représente tout ce que la société ne veut pas voir : la dégénérescence, la maladie et aussi la mort », estime Marie-Pierre Delcour, directrice de l’asbl Infor Homes Bruxelles. Mais finalement, pourquoi a-t-on peur de la mort ? On trouve réponse à cette question dans notre condition humaine. La seule chose dont l’homme est certain c’est qu’il va mourir. Mais quand et comment ? C’est un mystère. Et cet inconnu fait peur. « L’homme se pose des questions sur ce qui va se passer après la mort. Est-ce qu’il y a un après ? Mais aussi sur le processus même de la mort. Est-ce que ça va être violent, douloureux ? », explique Hedwige Dehon, spécialiste de la psychologie du vieillissement à l’Université de Liège (ULG).

La mort, nous y penserons tous à un moment ou un autre. Il est, en revanche, erroné de penser que les personnes âgées, parce que statistiquement susceptibles de mourir plus vite, ont davantage peur de mourir. « De nombreuses études montrent que les personnes âgées ont moins peur de la mort. On constate en fait que c’est dans la vingtaine que l’homme développe la peur de mourir. L’apparition de celle-ci est souvent corrélée avec le fait de devenir parent et donc d’avoir des responsabilités envers son enfant », explique Hedwige Dehon.

Si avoir un âge avancé n’implique pas forcément la peur de la mort, le placement en institution telle qu’une maison de repos peut par contre jouer un rôle. « Certaines personnes âgées, une fois en institution, vont développer des périodes d’anxiété et de dépression. Ces deux troubles peuvent conduire à une peur de la mort », constate la spécialiste. À cela, il faut ajouter ce qu’on appelle l’effet miroir. « Les résidents de maison de repos sont entourés de personnes dont l’état se dégrade progressivement. Ils voient mourir des gens de leur génération. Par projection, certains se disent qu’ils seront les prochains », poursuit Hedwige Dehon.

Parler de cette mort serait un moyen d’éviter d’en avoir peur. « On ne peut pas éviter la mort. Mais on peut planifier tout ce qui l’entoure : l’administratif, les obsèques…. Savoir que ses proches n’auront pas à gérer cela aide souvent les gens à avoir moins peur de partir », considère la psychologue de l’ULG. Il semble que le silence autour de la mort contribue à en faire un tabou, voire une peur. La peur de la mort chez les personnes âgées placées en maison de repos serait donc peut-être moindre si l’on se représentait ces institutions comme des lieux de vie et non comme des «mouroirs».

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C’est le nombre de maisons de repos gérées par le CPAS de Bruxelles. Il s'agit d'établissements publics permettant d’accueillir toute personne quelle que soit sa situation financière ou sociale. Ce n'est pas toujours le cas dans le privé où c’est souvent l’appât du gain qui prévaut.

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C'est le montant qui doit être déboursé par jour par les résidents des Ursulines. Ce prix comprend le logement, la nourriture, les activités intérieures et extérieures ainsi que l’argent de poche. Seuls les médicaments, le téléphone et les transports en ambulance ne sont pas compris dans ce forfait. En cas d’impossibilité pour le résident de payer la totalité de cette somme, le CPAS de Bruxelles prend en charge l’excédent.

35 à 40%

 

Aux Ursulines, on emploie  35 à 40 % de personnel en plus des normes minimales imposées par l’INAMI. A titre de comparaison, le secteur privé travaille rarement avec plus de 10 % de personnel supplémentaire.

Portrait Huberte

Huberte

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